Retour sur un naufrage

Par le Prof. Albert Bensoussan et Julien Zenouda Alger, 11 décembre 1960, les Arabes algériens, rendus furieux par la visite du général de Gaulle et les réactions violentes des pieds-noirs et de l’OAS à leur encontre, s’en prennent en leur faiblesse et leur lâcheté au plus haut symbole du judaïsme algérien, jusque là respecté et toujours inviolé : le Grand-Temple de la rue Randon, au cœur de la Casbah, devant le marché le plus populaire de la ville. Dans ce centre de la vieille cité, Juifs et Arabes avaient toujours vécu jusque là en parfaite fraternité, nous allions et venions au milieu d’eux sans nulle crainte, nous parlions la même langue, ils nous respectaient et nous avions de l’estime et de l’affection pour eux. Ils sont entrés dans ce lieu saint, ont tout saccagé, arraché les plaques noires du souvenir de nos morts sur les murs, éventré les symboles de notre foi, souillé les livres et les rouleaux de la Torah, vidé les boxes où chacun entreposait talith et téphilines, et ses livres de prières, tout est parti en fumée. Et puis les Paras sont arrivés avec leurs bérets rouges, ils ont occupé les lieux, ont campé sur le sol de notre Temple, ont mangé, bu et forniqué en toute bonne conscience de soudards, et pour comble, ajoutant l’offense à l’opprobre, ils ont dressé un arbre de Noël. Que dire après cela, sinon tenter de se souvenir, et de rappeler ce que fut ce haut lieu du culte juif à Alger ? Oui rappelons-nous, essayons de faire revivre ces temps de bonheur et de paix : Hadesh yamenou kekedem, comme l’on dit après avoir raccompagné pieusement le Sepher Torah jusqu’à son armoire sainte, Aron hakodesh, et après avoir tiré le rideau. Oui, le rideau est tiré mais notre mémoire reste vive, et intacte notre piété, qui renouvelle pour nous les jours d’autrefois… e me souviens… Arpentant encore et toujours les tournants Rovigo, montant et dévalant, j’avance sur les cotons de la mémoire, par des rues qui s’effacent et des places qui roulent vers l’abîme. Je me souviens d’une ville qui n’existe plus… Depuis des années et des années, tant de sable a croulé, et je me vois toujours descendant cette cité en pente, toutes ces rues d’Alger qui se jettent à la mer. Où nous fûmes naufragés… Yom Kippour à Alger, au Grand Temple de la rue Randon, comment c’était déjà ?… Depuis le recueillement de Kol Nidrei, la veille au soir, pas une miette de pain, pas une goutte d’eau n’avait traversé mon gosier. Je m’éveillais la langue râpeuse, et qui collerait au palais toute la journée, car défense de se laver, de se rincer, de se rafraîchir. Le jeûne était contrition, il fallait aller au-devant de la souffrance. J’accompagnais papa aux aurores. Jamais je ne l’aurais laissé aller seul à notre synagogue, au cœur de la citadelle maure. Une houle de chaleur montait aux tempes comme nous traversions les artères désertées. Pour en savoir plus %A %B %e%q, %YPosted on No Comments

Par le Prof. Albert Bensoussan et Julien Zenouda

Alger, 11 décembre 1960, les Arabes algériens, rendus furieux par la visite du général de Gaulle et les réactions violentes des pieds-noirs et de l’OAS à leur encontre, s’en prennent en leur faiblesse et leur lâcheté au plus haut symbole du judaïsme algérien, jusque là respecté et toujours inviolé : le Grand-Temple de la rue Randon, au cœur de la Casbah, devant le marché le plus populaire de la ville. Dans ce centre de la vieille cité, Juifs et Arabes avaient toujours vécu jusque là en parfaite fraternité, nous allions et venions au milieu d’eux sans nulle crainte, nous parlions la même langue, ils nous respectaient et nous avions de l’estime et de l’affection pour eux. Ils sont entrés dans ce lieu saint, ont tout saccagé, arraché les plaques noires du souvenir de nos morts sur les murs, éventré les symboles de notre foi, souillé les livres et les rouleaux de la Torah, vidé les boxes où chacun entreposait talith et téphilines, et ses livres de prières, tout est parti en fumée. Et puis les Paras sont arrivés avec leurs bérets rouges, ils ont occupé les lieux, ont campé sur le sol de notre Temple, ont mangé, bu et forniqué en toute bonne conscience de soudards, et pour comble, ajoutant l’offense à l’opprobre, ils ont dressé un arbre de Noël. Que dire après cela, sinon tenter de se souvenir, et de rappeler ce que fut ce haut lieu du culte juif à Alger ? Oui rappelons-nous, essayons de faire revivre ces temps de bonheur et de paix : Hadesh yamenou kekedem, comme l’on dit après avoir raccompagné pieusement le Sepher Torah jusqu’à son armoire sainte, Aron hakodesh, et après avoir tiré le rideau. Oui, le rideau est tiré mais notre mémoire reste vive, et intacte notre piété, qui renouvelle pour nous les jours d’autrefois…

e me souviens… Arpentant encore et toujours les tournants Rovigo, montant et dévalant, j’avance sur les cotons de la mémoire, par des rues qui s’effacent et des places qui roulent vers l’abîme. Je me souviens d’une ville qui n’existe plus… Depuis des années et des années, tant de sable a croulé, et je me vois toujours descendant cette cité en pente, toutes ces rues d’Alger qui se jettent à la mer. Où nous fûmes naufragés… Yom Kippour à Alger, au Grand Temple de la rue Randon, comment c’était déjà ?…

Depuis le recueillement de Kol Nidrei, la veille au soir, pas une miette de pain, pas une goutte d’eau n’avait traversé mon gosier. Je m’éveillais la langue râpeuse, et qui collerait au palais toute la journée, car défense de se laver, de se rincer, de se rafraîchir. Le jeûne était contrition, il fallait aller au-devant de la souffrance. J’accompagnais papa aux aurores. Jamais je ne l’aurais laissé aller seul à notre synagogue, au cœur de la citadelle maure. Une houle de chaleur montait aux tempes comme nous traversions les artères désertées.

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