L’exode des Juifs du M’Zab

par Charles Kleinkenecht Extrait de Les Juifs du M'zab, contribution à l'étude d'une Communauté saharienne dispersée par le vent de l'Histoire en Juin 1962. Par Charles KLEINKENECHT, Administrateur des Services civils de l'Algérie (E.R.), ancien Sous-préfet de Ghardaïa (Oasis) - avec l'aimable autorisation de l'auteur :Merci à Maurice ATTIA de nous avoir fourni les documents photographiques qui illustrent cet article, et de les avoir commentés pour nous. Introduction : la situation des Juifs du M'Zab en 1962 Ghardaïa est la capitale du M'Zab, située à 630 km au sud d'Alger, centre nord du Sahara et "porte du désert". En 1961 la population juive de la région compte 978 âmes. En 1958, à la suite des positions du Général de Gaulle pour le maintien d'une Algérie française et son accession à la tête de l'Etat, les Juifs du M'Zab, comme la majorité des Algériens, sont convaincus de la pérennité de la souveraineté française au Sahara. Cet espoir est d'autant plus fort que le gisement de pétrole de Hassi Messaoud, à 70 kilomètre au nord-ouest de Ghardaïa vient d'être découvert en mars 1956, et qu'en mars 1957, le Général de Gaulle lui-même est venu affirmer à Ghardaïa que le pétrole saharien est la "grande chance de la France". La prospérité paraît assurée dans un Sahara doté de son propre Ministère et qui ne sera pas concerné par les négociations avec le FLN. Il devra rester français ou devenir un Sahara associé à la France, même en cas d'indépendance de l'Algérie. Mais quand vient l'accord de cessez-le-feu du 19 mars 1962, le Ministère du Sahara est supprimé dès avril 1962, la Direction des affaires administratives et sociales du Sahara est rattachée au Ministère d'Etat chargé des affaires algériennes. Les accords d'Evian, avec le lâchage de cette région, provoque une déception générale parmi les populations sahariennes et, chez les juifs, une véritable panique. La panique et l'affolement sont pleinement justifiés. Depuis un certain temps, de jeunes musulmans profèrent à leur encontre des menaces précises de pillages, massacres, enlèvement de femmes. Les filles sont bousculées dans la rue, les passages juifs insultés, les élèves juifs battus dans les écoles par leurs petits camarades musulmans. Des rassemblements d'individus violents et menaçants regroupés autour du quartier juif doivent être dispersés par les forces de l'ordre. La renaissance chez les musulmans du racisme et de la haine devient évidente, et des faits précis confirment cette hostilité, par exemple : - Les commerces des juifs sont boycottés. - Il est interdit à un musulman d'acheter un immeuble appartenant à un juif. "Les juifs sont venus nus, ils doivent repartir nus", dit-on. Les juifs craignent donc de revenir au temps des Kanoun, au statut de Dhimmis. En outre, ils sont impressionnés par les déclarations faites par Ben Bella début 1962 au Proche Orient, jurant que les troupes de l'Algérie indépendante, estimées à cent mille hommes, se joindront à celles des pays arabes pour anéantir Israël (où 1034 membres de leur communauté ont déjà émigré). Ils ont donc la conviction qu'ils deviendront un jour des otages à la merci des Algériens. Les décrets du 24 octobre 1870 (Décret Crémieux) et du 7 octobre 1871 avaient accordé la citoyenneté française à part entière aux Israélites indigènes d'Algérie. Mais par "Algérie" il fallait entendre les seuls territoires géographiques des trois départements d'Alger, de Constantine et d'Oran tels qu'ils existaient à l'époque (1870), et les territoires sahariens de Ghardaïa et du M'Zab, non encore militairement occupés et pacifiés, n'y étaient pas compris. Ce n'est que le 13 juin 1962, soit trois mois après le cessez-le-feu et vingt jours avant le scrutin d'autodétermination, donc vraiment in extremis que cette population accède à la pleine citoyenneté française. Ceci par un arrêté du ministre chargé des Affaires algériennes paru au Journal officiel. C'est grâce à cette mesure que les Juifs du M'Zab, dans leur quasi-totalité, deviennent des citoyens français de statut civil de droit commun et peuvent de ce fait envisager sans obstacles administratifs leur réinstallation dans la Métropole. L'EXODE Et ce fut l'exode massif d'une communauté aux abois, dans un climat d'affolement total. L'autorité locale fut sollicitée par des délégations de plus en plus pressantes dont la très prochaine accession au statut civil de droit commun français encourageait et facilitait les démarches. Grande fut leur insistance pour obtenir leur évacuation avant le scrutin sur l'Autodétermination fixé au 2 juillet 1962. Mais ils refusaient d'affronter les 600 kilomètres de route pour rejoindre Alger par crainte d'attentats. Une solution très urgente s'imposait. Les derniers représentants de la Djemaa israélite s'étaient adressés directement au Gouvernement israélien qui dépêcha un représentant officiel pour prendre contact sur place avec les autorités et la communauté, des démarches furent entreprises à Alger et à Paris où l'Alliance Israélite Universelle joua un rôle déterminant pour obtenir la mise cri place d'un véritable pont aérien de 10 appareils afin d'assurer le départ massif des 900 juifs encore présents au M'Zab pour un transport direct depuis Noumerat (aérodrome à 15 km de Ghardaïa) à Marseille, échelonné sur une durée d'une quinzaine de jours. Pour en savoir plus%d/%m/%Y لا تعليقات

par Charles Kleinkenecht

Extrait de Les Juifs du M’zab, contribution à l’étude d’une Communauté saharienne dispersée par le vent de l’Histoire en Juin 1962.
Par Charles KLEINKENECHT, Administrateur des Services civils de l’Algérie (E.R.), ancien Sous-préfet de Ghardaïa (Oasis) – avec l’aimable autorisation de l’auteur

:Merci à Maurice ATTIA de nous avoir fourni les documents photographiques qui illustrent cet article, et de les avoir commentés pour nous.

Introduction : la situation des Juifs du M’Zab en 1962
Ghardaïa est la capitale du M’Zab, située à 630 km au sud d’Alger, centre nord du Sahara et “porte du désert”. En 1961 la population juive de la région compte 978 âmes.
En 1958, à la suite des positions du Général de Gaulle pour le maintien d’une Algérie française et son accession à la tête de l’Etat, les Juifs du M’Zab, comme la majorité des Algériens, sont convaincus de la pérennité de la souveraineté française au Sahara. Cet espoir est d’autant plus fort que le gisement de pétrole de Hassi Messaoud, à 70 kilomètre au nord-ouest de Ghardaïa vient d’être découvert en mars 1956, et qu’en mars 1957, le Général de Gaulle lui-même est venu affirmer à Ghardaïa que le pétrole saharien est la “grande chance de la France”. La prospérité paraît assurée dans un Sahara doté de son propre Ministère et qui ne sera pas concerné par les négociations avec le FLN. Il devra rester français ou devenir un Sahara associé à la France, même en cas d’indépendance de l’Algérie. Mais quand vient l’accord de cessez-le-feu du 19 mars 1962, le Ministère du Sahara est supprimé dès avril 1962, la Direction des affaires administratives et sociales du Sahara est rattachée au Ministère d’Etat chargé des affaires algériennes. Les accords d’Evian, avec le lâchage de cette région, provoque une déception générale parmi les populations sahariennes et, chez les juifs, une véritable panique.

La panique et l’affolement sont pleinement justifiés. Depuis un certain temps, de jeunes musulmans profèrent à leur encontre des menaces précises de pillages, massacres, enlèvement de femmes. Les filles sont bousculées dans la rue, les passages juifs insultés, les élèves juifs battus dans les écoles par leurs petits camarades musulmans. Des rassemblements d’individus violents et menaçants regroupés autour du quartier juif doivent être dispersés par les forces de l’ordre.

La renaissance chez les musulmans du racisme et de la haine devient évidente, et des faits précis confirment cette hostilité, par exemple :
– Les commerces des juifs sont boycottés.
– Il est interdit à un musulman d’acheter un immeuble appartenant à un juif. “Les juifs sont venus nus, ils doivent repartir nus”, dit-on.
Les juifs craignent donc de revenir au temps des Kanoun, au statut de Dhimmis. En outre, ils sont impressionnés par les déclarations faites par Ben Bella début 1962 au Proche Orient, jurant que les troupes de l’Algérie indépendante, estimées à cent mille hommes, se joindront à celles des pays arabes pour anéantir Israël (où 1034 membres de leur communauté ont déjà émigré). Ils ont donc la conviction qu’ils deviendront un jour des otages à la merci des Algériens.

Les décrets du 24 octobre 1870 (Décret Crémieux) et du 7 octobre 1871 avaient accordé la citoyenneté française à part entière aux Israélites indigènes d’Algérie. Mais par “Algérie” il fallait entendre les seuls territoires géographiques des trois départements d’Alger, de Constantine et d’Oran tels qu’ils existaient à l’époque (1870), et les territoires sahariens de Ghardaïa et du M’Zab, non encore militairement occupés et pacifiés, n’y étaient pas compris.

Ce n’est que le 13 juin 1962, soit trois mois après le cessez-le-feu et vingt jours avant le scrutin d’autodétermination, donc vraiment in extremis que cette population accède à la pleine citoyenneté française. Ceci par un arrêté du ministre chargé des Affaires algériennes paru au Journal officiel. C’est grâce à cette mesure que les Juifs du M’Zab, dans leur quasi-totalité, deviennent des citoyens français de statut civil de droit commun et peuvent de ce fait envisager sans obstacles administratifs leur réinstallation dans la Métropole.

L’EXODE
Et ce fut l’exode massif d’une communauté aux abois, dans un climat d’affolement total. L’autorité locale fut sollicitée par des délégations de plus en plus pressantes dont la très prochaine accession au statut civil de droit commun français encourageait et facilitait les démarches.

Grande fut leur insistance pour obtenir leur évacuation avant le scrutin sur l’Autodétermination fixé au 2 juillet 1962. Mais ils refusaient d’affronter les 600 kilomètres de route pour rejoindre Alger par crainte d’attentats. Une solution très urgente s’imposait. Les derniers représentants de la Djemaa israélite s’étaient adressés directement au Gouvernement israélien qui dépêcha un représentant officiel pour prendre contact sur place avec les autorités et la communauté, des démarches furent entreprises à Alger et à Paris où l’Alliance Israélite Universelle joua un rôle déterminant pour obtenir la mise cri place d’un véritable pont aérien de 10 appareils afin d’assurer le départ massif des 900 juifs encore présents au M’Zab pour un transport direct depuis Noumerat (aérodrome à 15 km de Ghardaïa) à Marseille, échelonné sur une durée d’une quinzaine de jours.

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